Le Mexique contemporain au prisme du tourisme : nouvelles dynamiques et enjeux de recherche
Colloque international – Université d’Angers
25 et 26 mars 2021
Avec environ 35 millions de visiteurs internationaux chaque année, le Mexique est de loin la première destination touristique d’Amérique latine et le seul pays latino-américain figurant parmi les dix pays les plus touristiques à l’échelle mondiale (OMT, 2019). Cette situation reflète la place centrale du fait touristique dans la société mexicaine, le tourisme constituant l’une des principales activités économiques à l’échelle nationale parallèlement au secteur pétrolier et aux envois d’argent effectués par les Mexicains émigrés à l’étranger. Cette position témoigne par ailleurs de la place centrale du tourisme dans les stratégies de développement mises en œuvre par l’État mexicain depuis les années 1960. Après avoir accompagné le passage du modèle étatiste et centralisé issu de la Révolution mexicaine à un modèle néolibéral et décentralisé à partir des années 1980 (Hiernaux, 2007), la question touristique est aujourd’hui au centre de la « Quatrième Transformation » prônée par le gouvernement actuel et dont l’un des fers de lance est la création d’un vaste projet d’infrastructures touristiques baptisé « Train Maya » dans le sud-est du pays.
Par bien des aspects, le tourisme constitue donc un « prisme d’observation » de la société mexicaine contemporaine (Raymond, 2004). L’étude des dynamiques touristiques actuelles ou plus anciennes constitue en effet une entrée particulièrement féconde pour penser les transformations qu’a connu le Mexique au cours des dernières décennies : ouverture économique, décentralisation, importance des mobilisations autochtones, etc. Si le tourisme interroge les principaux enjeux économiques, politiques, sociaux et environnementaux auquel le pays fait aujourd’hui face, la richesse et la diversité des dynamiques observées dans le contexte mexicain appellent en retour un questionnement sur les évolutions plus globales du phénomène touristique en ce début de XXIe siècle. Ce double questionnement, sur la contribution des études touristiques à l’étude du Mexique contemporain et sur l’apport des expériences mexicaines à la connaissance du tourisme, est l’enjeu de ce colloque international dont le programme s’articule autour de trois axes principaux
1. « Sol y playa » … et après ? Vers une diversification du phénomène touristique
Historiquement lié à l’essor d’un tourisme de masse de type « sol y playa », matérialisé par la création d’importants complexes balnéaires à partir des années 1970, le développement du tourisme au Mexique a été marqué par une diversification croissante de l’activité au cours des dernières décennies. Ce phénomène fait notamment écho aux préconisations des grands organismes internationaux depuis les années 1990 et 2000 en faveur de modèles « alternatifs », davantage soucieux des conséquences environnementales et sociales de l’activité touristique (Jouault et Kieffer, 2017). Si cette évolution n’a pas nécessairement freiné le développement des formes plus traditionnelles de tourisme, elle se traduit donc par une diversification de l’offre comme c’est le cas dans la Péninsule du Yucatan où le programme Monde Maya fut lancé en 1988 pour contrebalancer les effets du tourisme de masse sur les côtes caribéennes et promouvoir un tourisme plus écologique qui garantirait des revenus aux populations rurales (Daltabuit et al., 2000). Même si de nombreux travaux montrent que ces activités ont connu un essor rapide et représentent aujourd’hui une offre complémentaire du tourisme dit de « sol y playa » (Jouault et González-Kuk, 2018), l’étude de ces évolutions invite cependant à nuancer le caractère « alternatif » de ces nouveaux modèles qui ne remettent pas forcément en cause la logique néolibérale inhérente au fonctionnement de l’industrie touristique. C’est notamment dans ce contexte qu’ont émergé au Mexique des formes de tourisme dit « communautaire », inspirées du Community based tourism anglo-saxon, pour désigner des initiatives mettant l’accent sur l’intégration des sociétés locales et sur le fait que ces dernières soient, au moins en partie, propriétaires des moyens de production touristiques (Ibid. ; Kiss, 2004). Pour saisir le phénomène dans son ensemble, il faut donc prendre en compte cette modalité communautaire de mise en tourisme qui a pris de l’importance au Mexique. Le tourisme alternatif, censé valoriser traditions et/ou nature, peut-il tenir ses promesses et si oui, dans quelles mesures ? Il importe ici de ne pas essentialiser la notion de « communauté » qui n’exclue pas l’existence de tensions et d’intérêts contradictoires que la mise en tourisme peut contribuer à révéler ou à exacerber. Il s’agit donc de dépasser l’approche dualiste considérant le tourisme comme un élément exogène et perturbateur pour des sociétés locales considérées comme « bonnes par essence » et d’ouvrir le débat sur la plus ou moins forte cohésion de ces dernières. Quels sont les modes de gouvernance permettant de mieux maîtriser les effets négatifs et de bonifier les effets positifs de l’activité touristique dite « alternative » ? Les organisations communautaires et collectives sont-elles plus efficaces pour allier développement touristique et cohésion sociale ? La question de la diversification se pose également avec une acuité particulière lorsque le tourisme s’apparente à une monoactivité. De fait, la crise sanitaire liée à l’épidémie de COVID-19 a récemment mis en lumière les formes de vulnérabilité économique et sociale liées à la spécialisation de certaines régions littorales autour de la seule activité touristique (Oehmichen & Escalona, 2020). Cet aspect invite plus largement à questionner la place du tourisme au sein des systèmes économiques locaux et la capacité de résilience des sociétés touristiques face à différents risques sociaux, sanitaires ou environnementaux.
2. Le tourisme, moteur de transformation des espaces urbains et ruraux
Dans de nombreuses régions mexicaines, le développement du tourisme se traduit par un phénomène d’urbanisation rapide. Même pour les sites les moins compétitifs et attractifs, la mise en tourisme induit nécessairement une modification des pratiques sociales et des structures socio-économiques locales. Dans de nombreux cas, ce processus s’accompagne d’une transformation morphologique des espaces concernés et d’un recul de l’activité agricole. La mise en tourisme peut également enclencher ou accélérer un processus de valorisation matérielle et symbolique accompagné d’une augmentation du prix du foncier et, parfois, de logiques d’accaparement de terres (Marin Guardado, 2018 ; Marie Dit Chirot, 2017). Il importe cependant de distinguer l’urbain de la ville, et de ne pas réduire l’urbanisation à un processus de concentration géographique. Celle-ci ne peut en effet être réduite à l’extension du bâti mais doit au contraire être comprise comme une mutation de la société dans laquelle l’urbain est à la fois le cadre et le produit de l’économie de marché, dont l’immobilier et le secteur tertiaire sont les principaux moteurs (Lefebvre, 1972). En ce sens, la fermeture croissante de l’espace au sein des localités touristiques (Jouault, 2018) invite à replacer le phénomène d’urbanisation dans une perspective socio-historique en interrogeant, par exemple, les liens entre le développement touristique et le démantèlement des différentes formes de propriétés collectives du sol (ejidos et communautés agraires). Ces transformations pourront également être analysées au sein d’espaces patrimonialisés, s’agissant de réserves naturelles ou de sites archéologiques ainsi que dans les centres historiques de nombreuses villes où la valorisation touristique des lieux se manifeste par une concurrence accrue pour l’appropriation de l’espace et par une multiplication des conflits locaux.
3. Tourisme et recherche action participative : quels enjeux méthodologiques et éthiques ?
Le colloque proposera enfin d’aborder les aspects méthodologiques et le positionnement des recherches menées au Mexique où le monde universitaire affiche un engagement fort envers la société civile traduit, pour rependre le concept d’Albert Bruce (1995), par des « recherches impliquées ». Ce lien apparaît dans le serment solennel prononcé par les doctorants de l’Université Nationale Autonome du Mexique (UNAM) au moment de la soutenance de leur thèse (Kieffer, 2016).[1]
À titre d’exemple, l’approche fondée sur la Recherche-Action-Participative (RAP) constitue un champ de recherche davantage reconnu au Mexique, et plus largement en Amérique Latine, que dans les contextes universitaires européens ou anglo-saxons (Anadon & Savoie-Zajc, 2007). Ainsi, de nombreux travaux sur le tourisme alternatif mobilisent ce cadre méthodologique et insistent sur l’importance de la participation des acteurs locaux à la démarche de recherche, invitant à dépasser les dichotomies classiques entre sujet et objet, objectivité et subjectivité (Kieffer, 2016). Cet axe invitera donc à interroger les réussites, mais aussi les limites, de ces expériences de recherche et à questionner le rôle social de la recherche sur le tourisme. Il s’agira d’explorer les différentes modalités de l’implication sociale des chercheurs, allant de l’accompagnement d’initiatives communautaires à l’aide à la décision dans le cadre de projets gouvernementaux ou encore à la prise de position des chercheurs dans le débat public. Dans une société marquée par la persistance d’inégalités sociales fortes, et ou la question touristique fait souvent l’objet de controverses liées à des enjeux sociaux ou environnementaux, ces différents positionnements renvoient à des présupposés épistémologiques, mais aussi éthiques voire idéologiques qu’il s’agit d’interroger et de mettre en débat.
La modalité de présentation à distance par visioconférence sera disponible
Modalité de soumission des propositions et échéances : les propositions de communications (en français ou en espagnol) devront être envoyées au plus tard le 18 octobre 2020 sous la forme d’un résumé d’environ 3000 caractères (tout inclus), sur un fichier word nommé de la façon suivante : NOM de l’auteur-FIT2021-résumé (ex : DURAND-FIT2021-résumé). Chaque proposition fera l’objet d’une évaluation en double anonyme par le comité scientifique, dont la décision sera communiquée aux auteurs début novembre.
Les résumés devront être envoyés dans un fichier word simultanément aux adresses renaud.lariagon@univ-angers.fr et mkieffer@enesmorelia.unam.mx, en indiquant dans l’objet des mails: NOM de l’auteur-FIT2021-résumé (ex : DURAND-FIT2021-résumé).
Comité d’organisation: Clément Marie dit Chirot (Universidad de Angers), Renaud Lariagon (Universidad de Angers), Samuel Jouault (Universidad Autónoma de Yucatán), Maxime Kieffer (Universidad Nacional Autónoma de México, ENES Morelia).
Comité scientifique: Eduardo García Frapolli (UNAM), Gustavo Marín Guardado (CIESAS), Cristina Oehmichen (UNAM), Ana García de Fuentes (CINVESTAV), Philippe Duhamel (Université d’Angers), Bernard Tallet (CEMCA), Odile Hoffmann (IRD), Alfonso Gonzalez Damián (UQROO), Céline Barthon (Université d’Angers), Humberto Thomé Ortiz (UAEM), Gustavo López Pardo (UNAM), Juan Córdoba Ordoñez (Universidad Complutense de Madrid).
Bibliographie:
Anadón, M. et L. Savoie-Zajc. (2007)« La recherche-action dans certains pays anglo-saxons et latino-américains : une forme de recherche participative », in Marta Anadón (dir.). Recherches participatives : multiples regards, Ste-Foy, QC : Presses de l’Université du Québec, pp. 13-30.
Daltabuit, M., Cisneros, H., Vazquez, L., Vázquez, L. y Santillán, E. (2000). Ecoturismo y desarrollo sustentable: impacto en comunidades rurales de la selva maya. Centro regional de investigaciones multidisciplinarias.
Hiernaux-Nicolas D. (2007), « Le tourisme de masse au Mexique : un virage ? », Téoros, n°26-1, pp.15-20.
Jouault, S. (2018).Clôtures et portail au cœur de la Caraïbe continentale : une réflexion sur le tourisme, les sociétés locales et la ségrégation socio-spatiale. Norois, n° 247 (2018/2), pp. 77-94.
Jouault, S. et González-Kuk, G. (2018), la turistificación de los espacios rurales en la península de Yucatán: una perspectiva Geohistórica.
Jouault, S. et Kieffer, M. (2017). Le « tourisme communautaire » au Mexique : entre contrainte des agendas internationaux et espoir des sociétés locales. In V. Coëffé (dir.), Le tourisme, De nouvelles manières d´habiter le Monde, pp. 417-430. Paris: Ellipses.
Kieffer, M. (2016). « Chercheur, observateur, acteur ? Retour sur une recherche-action participative au Mexique », TRACE, n°70.
Kieffer, M et Jouault, S. (2017). Nouveau enjeux de la recherche en tourisme au Mexique: l’analyse des relations tourisme et développement rural. In C. Guilbert et Taumay B. (dirs.), Tourisme et sciences sociales, postures de recherches et ancrages disciplinaires et épistémologiques, pp. 71-91. Paris: L’Harmattan.
Kiss, A. (2004). « Is community-based ecoturism a good used of biodiversity conservation funds? ». Trends Ecology and Evolution.
Lariagon, R. (2018). Dimensión territorial de las experiencias estudiantiles. Entre dominación, conflicto y emancipación en la Universidad Tecnológica de la Costa Grande de Guerrero (Petatlán, GRO, México) y la Facultad de Filosofía y Letras de la UNAM (CDMX, México). Thèse de doctorat en Geographie, F. Fernández et J-M. Fournier (dirs.). UCN-UNAM.
Lefebvre, H. (1972). La Revolución Urbana. Madrid: Alianza Editorial.
Marie Dit Chirot, C. (2017).Rematérialiser les études touristiques. In C. Guilbert et Taumay B. (dirs.), Tourisme et sciences sociales, postures de recherches et ancrages disciplinaires et épistémologiques, pp. 99-116. Paris : L’Harmattan.
Marin Guardado G. (2015), Sin tierras no hay paraíso. Turismo, organizaciones agrarias y apropiación territorial en México, col. Pasos Edita, PASOS: Revista de Turismo y Patrimonio Cultural, Tenerife, 306 pages.
Oehmichen C., Escalona C. (2020). “El COVID-19 en Cancún: epidemia y vulnerabilidad en un destino turístico de clase mundial, Alba Sud. Consultado en linea el 11/06/2020: http://www.albasud.org/noticia/es/1218/el-covid-19-en-canc-n-epidemia-y-vulnerabilidad-en-un-destino-tur-stico-de-clase-mundial
OMT (2019),Faits saillants du tourisme international, Organisation Mondiale du Tourisme, 24 pages.
Raymond N. (2004). “Los interrogantes que plantea América latina al estudio del fenómeno turístico”, TRACE, n°45, pp.11-31.
[1] « Jurez-vous d’exercer la profession avec la responsabilité et décision que celle-ci requiert, dans le respect, dignité et éthique professionnelle que l’ Université Nationale Autonome du Mexique attend de vous, qui aujourd’hui vous octroie le titre de docteur en… ?
—Oui je le jure.
—S’il n’en est pas ainsi, ce sont l’Université, la société et votre propre conscience qui vous jugeront ».